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Commission de l’IS sur les questions financières mondiales

Maîtriser la crise financière mondiale : pour un nouveau rapport entre gouvernement et marché

03 novembre 2008

 
Déclaration de la Commission de l’Internationale Socialiste sur les Questions financières mondiales, réunie à Vienne, Autriche
 
Il est aujourd’hui indiscutable que la crise financière mondiale actuelle est la pire qui s’est produite durant les dernières vingt cinq années, et elle pourrait être la pire depuis la Grande dépression.
 
Une première réponse à la crise a été de procéder à un sauvetage des institutions financières dans les pays développés, à un coût énorme pour les contribuables, avec des différences d’opinion complètes sur les meilleurs moyens de procéder. Les forces et les gouvernements progressistes ont pris des mesures en faveur de comportements responsables, de la transparence, et des garanties pour les citoyens ordinaires, afin qu’ils ne deviennent pas victimes des actes imprudents et de l’irresponsabilité de ceux qui ont provoqué la crise.
 
Depuis le départ, les emplois des personnes, le logement, les retraites, l’accès aux services de santé et d’éducation, ont été au centre de nos préoccupations, c'est-à-dire, en bref, le gagne-pain et la protection sociale des citoyens sévèrement menacés par cette crise.
 
Selon la vision sociale-démocrate, l’économie et les marchés financiers devraient être au service des citoyens de nos sociétés. Les marchés financiers constituent un moyen pour une fin et non pas une fin en eux-mêmes. Et ce qui est bon pour Wall Street ou les autres centres financiers, ne l’est pas nécessairement pour le reste de l’économie. De plus, les ‘économies de ruissellement’ – l’idée selon laquelle aider ceux qui sont au sommet est bénéfique pour tous – a été répétitivement rejetée.
 
Quatre principes continuent de guider la réponse sociale-démocrate : les solutions à la crise doivent être consistantes avec les valeurs de base de justice et de solidarité sociales, ainsi que les notions de base de l’équité. Les liens de la solidarité sociale doivent se répandre au-delà des frontières nationales ; nous ne pouvons pas prendre des actions qui nous aident au dépend de ceux dans le monde en développement. Ces liens doivent refléter une compréhension de l’équilibre nécessaire entre gouvernement et marché. Enfin, toute réponse doit respecter les principes de base du processus dûment démocratique, y compris la pleine transparence.
 
Ces principes ont acquis aujourd’hui un plus grand sens d’urgence, car ce qui a commencé comme une crise financière est très rapidement devenu une crise de l’économie réelle, la menace de récession étant maintenant une réalité partout dans le monde, en même temps que nous entrons dans une nouvelle phase où les économies émergentes et en développement souffrent également de cette crise.
 
L’absence de régulation financière a provoqué cette crise, tandis que la faiblesse fiscale et de larges dettes publiques ont entravé la capacité de nombreux gouvernements à formuler des politiques pour y faire face. Parallèlement, de sérieuses carences dans le système financier mondial ont également été exposées, telles que les limitations des institutions de Bretton Woods pour protéger contre les déséquilibres macroéconomiques et fournir de la liquidité aux pays en besoin ; une surveillance inadéquate des marchés financiers dans les pays développés et une sous représentation des économies émergentes dans la gouvernance des principaux organismes multilatéraux de prêts.
 
Nous ne pourrons pas restaurer la confiance dans nos marchés financiers tant que nous ne changeons pas leur comportement, et ce à travers la régulation. Et la régulation doit être complète. Trop souvent, le processus de régulation a été retenu captif par ceux qui étaient supposés être régulés. Les voix de ceux qui ont été touchés, du fait d’une régulation inadéquate – les retraités qui ont perdu leurs économies, les propriétaires qui ont perdu leur logement, les travailleurs qui ont perdu leur emploi – doivent être d’une importance capitale. Une telle régulation pourrait encourager de véritables innovations, mais nous ne parlons pas du genre de régulation qui a caractérisé les marchés financiers ces dernières années, comme avec les produits dérivés qui étaient supposés gérer les risques mais qui au contraire l’ont créé ; nous parlons plutôt d’innovations qui permettraient aux citoyens ordinaires de conserver leur logement face aux vicissitudes économiques auxquelles ils sont confrontés. Les banques ont été permises de devenir trop grandes pour faire faillite et cela a été dangereux pour chacun d’entre nous.
 
Etant donné que la restructuration des finances mondiales prendra du temps, la Commission sur les Questions financières mondiales propose cinq programmes immédiats pour protéger les gens dans les pays qui sont aujourd’hui les plus directement touchés par la crise :
 
  • La création d’un Fonds de protection sociale pour aider les pays en développement qui ont des régimes de protection sociale inadéquats ou insuffisamment financés, pour établir des systèmes de sécurité sociale qui fourniraient un minimum de protections sociales, y compris des prestations pour les sans emplois, pour la santé et pour les retraités ;
 
  • La création d’un Fonds de développement pour les petites entreprises afin de faciliter le crédit et les mouvements de capitaux vers les petites entreprises, secteur qui fournit la source majeure d’emplois et qui contribue largement au PIB, et afin d’aider leur développement technologique et développer le travail décent ;
 
  • La création d’un Fonds pour le financement d’infrastructures pour aider à stimuler l’économie. Un tel fonds stimulerait simultanément l’économie à court terme et aiderait les sociétés à répondre à long terme aux défis auxquels elles doivent faire face ; certain fonds pourraient par exemple aider à répondre aux défis causés par le réchauffement de la planète ; d’autres pourraient être dirigés vers l’économie informelle à partir de laquelle un si grand nombre de personnes pauvres gagnent leurs vie, avec par exemple des programmes locaux pour des petites compagnies d’électricité, des routes et des marchés ruraux, ainsi que des parcs technologiques.
 
  • La Commission soutient également l’établissement urgent et immédiat par le Fonds monétaire international d’une ligne de liquidité pour les économies émergentes et en développement qui doivent faire face à la crise en matière de liquidités, causée non pas par un manquement des politiques nationales mais par les sources de financement qui ont été interrompues en raison de la crise systémique, alors que les banques actives sur le plan international entassent les liquidités, et que les capitaux sont rapatriés vers les centres financiers et que le PIB des pays riches se contracte. Cette facilité en matière de liquidité doit être accessible aux pays en élargissant le critère d’éligibilité d’une façon juste, soutenant ainsi des centaines de millions de personnes qui sont maintenant les victimes involontaires de cette crise ; et elle devrait être fournie sans les sévères conditionnalités si souvent imposées dans le passé.
 
  • De nouvelles sources de financement ainsi que de nouvelles facilités de crédit, doivent être considérées d’urgence. Il existe un consensus croissant selon lequel les ressources financières au sein des institutions multilatérales et des banques régionales pour le développement sont insuffisantes pour fournir un soutien adéquat aux nombreuses économies qui devront peut-être faire face à des difficultés. Puisque les sources de fonds liquides dans le monde d’aujourd’hui se trouvent dans les pays qui sont représentés de façon inadéquate au sein du FMI, de la Banque mondiale et des autres institutions multilatérales existantes, il sera impératif de créer, pour ces facilités de crédit, de nouvelles structures de gouvernance plus représentatives. Ces nouvelles structures de gouvernance devraient être conceptualisées comme les précurseurs de réformes plus fondamentales dans la gouvernance économique mondiale demandées depuis longtemps et il se peut qu’elles nécessitent une participation plus active d’autres institutions internationales avec une représentation plus large et plus diverse, y compris les différentes agences de la famille des Nations Unies, telles que le PNUD et l’Organisation internationale du travail.
 
 
Pour qu’elle soit transparente et durable, la gouvernance financière requiert une régulation robuste du monde des finances qui, comme l’a affirmé le Présidium de l’International Socialiste, devrait inclure l’établissement d’une Organisation financière mondiale. La nature et l’étendue d’une telle régulation devrait elle-même émerger des processus démocratiques mondiaux. Une régulation correctement conceptualisée devrait se focaliser sur les institutions financières et sur les produits dont l’échec met en danger l’économie dans son entier. Les éléments, sans qu’ils soient limités, devront inclure des demandes pour plus de transparence, des restrictions sur les systèmes de compensation, en particulier ceux qui encouragent les comportements extrêmement risqués et à courte vue, des restrictions sur les conflits d’intérêts, une surveillance des agences d’évaluation du crédit, et le contrôle d’autres aspects du comportement des institutions financières qui ont imposé des coûts sociaux élevés disproportionnés par rapport aux bénéfices sociaux. Les déficiences au sein de la gouvernance des sociétés, qui ont donné lieu à des systèmes de compensation qui ont profité aux managers de sociétés aux dépends des autres parties prenantes, y compris les actionnaires, doivent être considérées d’urgence. Les paradis fiscaux devraient disparaître, et une taxe sur les transactions à cour terme considérée.
 
D’autres réformes du système financier international doivent être abordées afin d’obtenir une économie mondiale plus stable, plus prospère et plus équitable. Y compris une réforme du système des réserves mondiales, une meilleure coordination macro-économique, en accordant plus d’attention aux conséquences politiques du chômage, et de meilleurs moyens pour traiter les faillites et défaillances transfrontalières, y compris celles des souverains. Le système, dans lequel des politiques monétaires et fiscales anticycliques ont été poursuivies dans les pays industriels avancés tandis que des politiques pro-cycliques étaient imposées dans les pays en développement, a contribué à l’instabilité mondiale et imposé des coûts énormes aux pays en développement. La crise actuelle a donné un nouveau sentiment d’urgence à ces réformes qui ont été longtemps retardées.
 
La réforme du processus lui-même doit être ouverte, transparente, inclusive et démocratique, ce qui signifie que la réforme du cadre mondial de la régulation ou la façon dont les marchés financiers sont régulés et supervisés doit prendre en compte les opinions et points de vue de tous. Pour cette raison, nous proposons que la discussion sur les réformes du cadre financier et réglementaire des marchés privés soit élargie et inclut les économies émergentes, tout en fournissant en même temps un rôle contributif aux institutions existantes qui sont moins représentatives, tel que le Forum pour la stabilité financière.
 
Les sociaux-démocrates ont toujours été en faveur des marchés avec une responsabilité sociale. Des marchés qui donnent la priorité aux citoyens, qui accordent un rôle au gouvernement dans l’économie avec des règles et des régulations dans le marché. Il y a 75 ans, John Maynard Keynes expliquait comment l’action gouvernementale pouvait aider le rétablissement économique après la Grande dépression. Aujourd’hui, ses idées font partie de la sagesse conventionnelle. Les politiques sociales-démocrates et leurs propositions pour empêcher d’autres calamités similaires, comme celle que nous vivons aujourd’hui, seront avec le temps acceptées comme sagesse conventionnelle. Mais la notion de temps est essentielle : plus les gouvernements agiront rapidement, plus notre chute sera courte, et le nombre d’innocents spectateurs dont les vies et les rêves auront été anéantis par cet épisode tragique sera moindre. Nous vivons une crise qui a été créée par les hommes, et qui ne devrait jamais plus se reproduire. Notre Commission s’engage à contribuer à y mettre fin, en construisant une feuille de route dans laquelle la démocratie, l’inclusion sociale, l’équité et le développement vert trouveront leur place dans une nouvelle vision politique, sociale et économique qui est requise par notre époque.